À la mémoire des anciens élèves de l’Institut électrotechnique de Grenoble tombés pendant la Seconde Guerre mondiale
Au cœur des montagnes grenobloises, l’Institut électrotechnique de Grenoble (IEG), aujourd’hui intégré à Grenoble INP, formait déjà, avant-guerre, des générations d’ingénieurs destinés à prendre part à l’industrialisation du pays. Mais la Seconde Guerre mondiale a brutalement interrompu cet élan. Dans les archives de l’école, une liste rédigée en 1946 recense les noms de plusieurs anciens élèves morts durant le conflit. Derrière ces noms, il y avait des jeunes hommes passés par les amphithéâtres de Grenoble, formés à l’exigence scientifique, et qui ont, pour beaucoup, mis ces compétences au service de la Résistance, de
la France Libre ou de l’armée régulière.
Aujourd’hui, alors que ces parcours restent largement méconnus, cet article a pour ambition de faire revivre, même brièvement, les trajectoires de ces anciens. Il s’agit de rendre hommage à leur mémoire, de rappeler qu’au-delà de leur formation d’ingénieur, ils ont été acteurs d’un moment tragique de l’histoire, parfois jusqu’au sacrifice ultime. L’Institut Électrotechnique de Grenoble, fondé en 1901, était en pleine croissance au moment où la guerre éclate en 1939. Les élèves et jeunes diplômés, issus pour beaucoup de milieux modestes ou bourgeois investis dans l’essor industriel de la région, furent frappés de plein fouet par la mobilisation, l’Occupation, et éventuellement la répression. Certains furent intégrés aux unités combattantes dès le début de la guerre ; d’autres, après l’armistice de 1940, choisirent la clandestinité, rejoignant des maquis, des réseaux de renseignement ou des mouvements de Résistance. La proximité géographique avec le Vercors et les Alpes joua un rôle majeur dans l’engagement local des étudiants et diplômés grenoblois. Le profil des élèves ingénieurs formés à l’IEG correspondait à ce que la Résistance recherchait : des jeunes techniquement compétents, capables de réparer, construire, organiser, coder, transmettre. Plusieurs d’entre eux ont ainsi participé à des missions critiques, parfois au péril de leur vie. D’autres furent arrêtés, déportés, certains exécutés.
Leurs noms figurent dans les archives, occasionnellement gravés sur des plaques commémoratives, souvent sans détails. À travers cet article, nous souhaitons rendre à ces anciens élèves une part de leur histoire, et rappeler à la communauté de Grenoble INP que leur héritage ne se limite pas aux innovations ou aux carrières, mais aussi à un engagement humain profond, dans l’un des moments les plus sombres du XXe siècle.
Les noms des hommes évoqués dans cet article ont été initialement retrouvés dans une liste publiée dans le Journal des I.E.G. du numéro de mai-juin 1946, dans le cadre d'une tribune consacrée aux conséquences humaines de la Seconde Guerre mondiale. Ce numéro, à en croire les archives disponibles, constitue la publication la plus récente du journal après la fin du conflit. Afin de mieux comprendre le destin de ces anciens élèves, des recherches complémentaires ont été menées à partir de bases de données en ligne, d’archives numérisées et de sites spécialisés. Ces recherches ont permis de mettre en lumière des éléments qui étaient inconnus au moment de la publication initiale, en particulier pour les personnes décédées en déportation, dont les circonstances n’ont été entièrement documentées que bien plus tard.
Néanmoins, les lacunes des archives disponibles et le manque d’informations sur certains individus font que cette démarche reste, en partie, incomplète. Malgré ces lacunes, cet article entend participer à un travail de mémoire, à l’image de l’hommage rendu aux anciens élèves tombés lors de la Première Guerre mondiale, visible sur le site web de Grenoble INP Alumni.
Portraits d’anciens élèves de l’IEG morts pendant la guerre Première série, dont suffisamment de détails nous sont parvenus afin que leur identité ait pu être vérifiée.
Eugène Alphonse AUDINOS (promotion 1901)
Né le 27 mars 1882, Eugène Audinos est diplômé de l’Institut électrotechnique de Grenoble en 1901. Ancien combattant de la Première Guerre mondiale, il s'engage dans la Résistance intérieure française au cours du second conflit. Il est tué à Grenoble le 26 novembre 1943, lors de la "Saint-Barthélemy grenobloise", une série de rafles sanglantes menées par la Gestapo et la milice française.
Paul BERAUD (promotion 1925)
Né le 10 mars 1905, Paul Pascal Jules Beraud devient ingénieur électricien après sa formation à l’IEG. Entré dans le réseau franco-polonais F2 en 1942, il dirige le secteur de Nice, jusqu’à son arrestation par la Gestapo. Il est exécuté le 19 juillet 1944 à Châtillon-d’Azergues.
Sigismond DAMM (promotion 1927)
Né le 5 juin 1905, Sigismond Damm, ingénieur diplômé en 1927, s’engage dans la Résistance. Il décède le 30 novembre 1944 dans des circonstances encore mal connues. Il est reconnu comme résistant par les autorités françaises.
Ilja MARGOLIS (promotion 1931)
Ingénieur diplômé en 1931, Ilja Margolis est arrêté et déporté à Auschwitz, où il meurt le 12 mars 1944. Il figure parmi les victimes civiles juives de la déportation.
Charles Théophile RECHENMANN (promotion 1933)
Diplômé en 1933, Charles Rechenmann fonde le réseau ROVER après avoir échappé à la captivité. Il organise de nombreux sabotages industriels avant d’être arrêté, déporté à Buchenwald et exécuté le 10 septembre 1944.
Gabriel Marius VELLARD (promotion 1921)
Ancien combattant de 14-18, Gabriel Vellard reprend ses études à l’IEG et obtient son diplôme en 1921. Il est tué par erreur par un avion allié à quelques jours de la Libération, le 28 août 1944.
Deuxième série, dont certains détails nous sont encore inconnus.
Paul-Armand BESSON (promotion non précisée)
Né le 3 décembre 1902, Paul-Armand Besson meurt le 13 novembre 1943. Peu d’éléments subsistent sur son parcours, mais il fut un des ingénieurs figurant parmi les anciens de l’IEG morts pour la France durant la guerre.
Joseph Alphonse BUGNON (promotion non précisée)
Né le 4 novembre 1904, Joseph Bugnon meurt en déportation le 12 avril 1945, lors de son transfert du camp de Dora à celui de Ravensbrück. Il n’aura jamais revu la France.
Edmond DUCROS (promotion 1921)
Né en 1896, diplômé de l’IEG en 1921, Edmond Ducros devient capitaine FFI. Il est tué comme victime civile le 30 août 1944, au moment où les combats font rage dans le sud-est de la France.
Jean-Pierre GARNIER (promotion non précisée)
Né le 29 novembre 1921, Jean Garnier meurt le 11 avril 1945. Son corps est retrouvé carbonisé, ce qui laisse penser à une mort en opération ou dans un incendie lié à des combats.
Jacques GIRODROUX (promotion 1925)
Diplômé de l’IEG en 1925, Jacques Girodroux meurt en déportation le 12 décembre 1944. Les conditions de sa déportation restent à préciser.
Pierre GOICHOT (promotion 1919)
Né en 1895, Pierre Goichot est diplômé en 1919. Il meurt le 29 août 1944, dans les derniers jours de l’Occupation.
Alexandre Léon MALLET (promotion 1924)
Ancien de l’IEG diplômé en 1924, Alexandre Mallet est tué en mission aérienne le 26 mai 1940, au début de la guerre, lors d’un bombardement au-dessus de la Somme.
Jacques ROMANOVSKI (promotion 1933)
Diplômé en 1933, Jacques Romanovski meurt très tôt dans le conflit, le 16 juin 1940, pendant les combats de la débâcle.
Jean ROUGY (promotion 1920)
Ingénieur diplômé de la promotion 1920, Jean Rougy décède en juillet 1944. Il laisse derrière lui une épouse et deux enfants.
Jean BISTÉSI
Ancien élève puis professeur d’électrochimie à l’IEG, Jean Bistési est tué à Grenoble le 29 novembre 1943 lors des rafles de la Saint-Barthélemy grenobloise. Son engagement dans la Résistance lui vaut une reconnaissance posthume.
André ABRY
Membre actif de l’association des anciens, André Abry est tué le 6 octobre 1943. Il est présenté comme la « première victime de la rigueur allemande » dans les archives de l’école.
Ces ingénieurs formés à Grenoble, dont les noms ont longtemps été réduits à une simple liste, ont connu des destins tragiques. Ils ont été soldats, résistants, agents de renseignement, déportés ou victimes collatérales. Ils ont mis leurs compétences au service d’un combat plus grand qu’eux. À travers cet article, nous espérons avoir rendu un hommage juste à leur mémoire. Que leur parcours inspire, encore aujourd’hui, les générations d’ingénieurs présents et futurs formés à Grenoble INP-UGA.
Article rédigé par Narcisse Rossignol, étudiant à l'Université de Strasbourg.

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